Charnier du Fenouillet découvert en Octobre 1944
13 JUIN 1944….. LA TRAGÉDIE
Le 13 Juin 1944, 28 Résistants, pour la plupart de notre Région, et parmi lesquels huit Martégaux, étaient fusillés par les nazis au lieu dit "Le Fenouillet", sur la Commune de la Roque d'Anthéron.
Les Martégaux avaient été arrêtés le 8 Juin 1944. Le massacre ne fut découvert que bien plus tard, en septembre de cette même année, ce qui, on l'imagine, suscita dans la population -de la ville et d'ailleurs- stupeur, peine et colère. D'autant que les martyrs, dont 4 instituteurs, 3 ouvriers et 1 commerçant, étaient tous honorablement estimés.
A ce moment-là, chacun se posait la question : comment cela avait-il pu être possible ?
Pour beaucoup, la trahison ne faisait aucun doute ; mais dénonciation locale, ou fuite extérieure ?
A la Libération, la première hypothèse fut rapidement écartée. Par contre, la seconde, connue un peu plus tard, fut pire que tout ce que l'on pouvait s'imaginer !
La Résistance, chacun le sait aujourd'hui, était composée de plusieurs courants : gaullistes, giraudistes, communistes, socialistes et chrétiens, etc… Chacun d'entre eux avait son organisation propre. Le Général DE GAULLE, inquiet de cette division -et surtout de l'importance des maquis de la Résistance animée par le Parti Communiste- chargea Jean MOULIN d'unifier l'ensemble des mouvements de la Résistance.
Le 27 Mai 1943 eut lieu la première réunion du Conseil National de la Résistance qui se tint clandestinement à PARIS. Jean MOULIN réussit non sans mal sa mission, car beaucoup avaient des divergences sur le programme à établir. Quoi qu'il en soit, un premier pas était franchi vers l'unification des différents courants de Résistants : le Conseil National de la Résistance. Toutefois, chacun gardait son organisation propre jusqu'à la Libération (c'est important pour comprendre la suite de l'affaire).
MARTIGUES ne fit pas exception à la règle nationale où plusieurs courants existaient, dont voici les principaux, sans sous-estimer les autres.
Le plus important était issu du Parti Communiste et de la C.G.T., avec son bras armé les F.T.P.F. (Francs Tireurs et Partisans Français), ainsi que le Front National (pas celui d'aujourd'hui, cela va sans dire !), également animé par le P.C., mais différencié afin de recruter davantage de patriotes non communistes.
Le second, le M.U.R. (Mouvement Unifié de la Résistance) comprenait des gaullistes, des giraudistes (ex officiers de l'armée française), des socialistes, des radicaux chrétiens, etc…
En Juin 1943, fut créé à Martigues le Comité de Résistance de Martigues, avec :
GALDY Georges qui représentait le Front National,
LOMBARD Paul-Baptistinqui représentait la C.G.T. et le P.C.,
CHALVE Aldéric qui représentait les M.U.R.
Chacun gardait pour autant son indépendance.
Ces 2 groupes poursuivaient le même but, libérer notre pays, mais avaient des divergences sur la tactique à employer.
Le P.C. et le F.N. souhaitaient une action plus engagée, tandis que le M.U.R. la voulait plus attentiste.
En octobre 1943 put paraître dans le journal "La Marseillaise" le premier manifeste clandestin du Comité Local de Résistance de Martigues. Fut ensuite créé le Journal "Le Patriote Martigais" auquel le M.U.R. refusa de s'associer.
Par la suite, mon père confia à GALDY que des fuites existaient sur les délibérations du Conseil de leur Comité. Ils devinrent alors extrêmement prudents. Toutefois, en Mai 1944, au moment où filtraient les premiers préparatifs du Débarquement, DAUGEY et DI LORTO
-autres représentants du M.U.R.- eurent une entrevue avec mon père pour dresser ensemble le bilan des résultats obtenus par les M.U.R., le F.N., le P.C. et la C.G.T. Il fut alors décidé de mettre en commun tous leurs moyens d'action.
Sur la tactique à employer, je l'ai dit, les M.U.R. étaient en désaccord avec le P.C.
Les M.U.R., pour se conformer aux instructions de leur direction à Aix, voulaient créer à MARTIGUES un maquis. Le P.C. estimait que ce projet devait être écarté pour les raisons suivantes :
a) parce que MARTIGUES ne disposait pas des armes nécessaires. Les M.U.R. possédaient 2 ou 3 mitraillettes et quelques révolvers et le P.C. ne détenait qu'une vingtaine de fusils et une trentaine de mitraillettes et de 2 F.M.
b) parce que la situation géographique de MARTIGUES et de ses environs ne se prêtait pas à la création d'un maquis. Le lieu que le M.U.R. proposait au P.C. -dit la Plain- ne convenait ni à un combat défensif, ni pour se soustraire à des recherches.
Le P.C. proposa, à son tour, d'organiser en commun un plan de guérilla qui lui aurait permis d'intensifier son travail de sabotage et de harcèlement, car il estimait que la création d'un maquis à MARTIGUES aboutirait à un véritable suicide.
La dernière discussion que le P.C. ait eue à ce sujet se passait le 7 Juin. DAUGEY et DI LORTO, ébranlés par les arguments du Parti, demandèrent cependant 24 heures de réflexion avant d'adopter son point de vue.
Rendez-vous fut pris pour le 8 Juin à 19 heures. Ce rendez-vous ne consistait qu'à prendre la réponse de DAUGEY et DI LORTO et ne devait être suivi d'aucune discussion, la prochaine réunion du Comité de Résistance devant être fixée pour un jour de la semaine suivante.
A ce rendez-vous devaient être présents : LOMBARD, ORLANDINI, DI LORTO, DAUGEY et GALDY. ORLANDINI et GALDY arrivèrent en retard et ne furent donc pas capturés.
Mais DAUGEY avait reçu, dans la matinée du 8, un message qui l'informait d''un débarquement allié dans la nuit du 8 au 9 en Provence, et à cet effet, il avait convoqué tous les Chefs de Groupe des M.U.R. pour leur communiquer ses dernières instructions.
C'est ce qui explique qu'il y avait beaucoup de monde ce soir-là chez lui.
Le rapport de la Gestapo du 6 Juillet 1949 indique à ce sujet que "Lors de l'arrestation de DAUGEY nous avons interrompu une réunion qui avait lieu chez lui et nous avons pu arrêter les personnes suivantes qui s'apprêtaient à prendre le maquis" :
- ABBADIS BARTHELEMY - F.F.I. - PAS DES LANCIERS
- BARTHELEMY Joseph - F.F.I. - MARTIGUES
- DI LORTO Paul - F.F.I. - MARTIGUES
- LOMBARD Paul-Baptistin - F.F.I. - MARTIGUES
- TOULMOND Lucien - F.F.I. - MARTIGUES
- TRANCHIER Henri - F.F.I. - MARTIGUES
Après cette rafle inespérée, le rapport souligne, qu'à partir de ce jour, la Résistance dans le secteur de MARTIGUES / MARIGNANE / PORT-DE-BOUC / ISTRES a été complètement anéantie.
Une satisfaction pour moi, si je puis dire, car mon père figure comme F.F.I. et non comme Responsable du Parti Communiste ; sans quoi… je n'ose y penser.
Hommage à ses camarades d'infortune qui se sont tus.
Parallèlement à cette arrestation, des dizaines d'autres survinrent presque simultanément dans des zones différentes les 7, 8, 9 et 16 juin.
Une trahison venant d'en "Haut" ne faisait donc aucun doute.
Aussi, toujours d'après le rapport de la Gestapo du 6 Juillet et dès le début, nous en avons l'explication. Je cite : "D'après les indications données par un chef offensé et véreux de la Résistance, celui que nous désignerons au cours du présent rapport sous le nom de l'Agent "ERICK", sur ses indications à notre service nous avons pu entreprendre, le 6 Juin 1944, l'action connue sous le nom du cas "CATILINA", contre les Giraudistes "GANT", Groupe d'Action Militaire, et contre les Gaullistes M.U.R. (Mouvement Unifié de la Résistance) qui s'étaient réunis officiellement en Février 1944 pour former les F.F.I. (Forces Françaises de l'Intérieur." Fin de citation.
ERICK, nous l'apprîmes à la Libération, était un officier français, fils adoptif d'une bonne famille marseillaise. Offensé de ne pas avoir obtenu l'avancement espéré, il était devenu aigri et véreux. Pour 5 millions de francs en 1944 (ce qui représentait environ 1 250 000 francs en 1972), il n'hésita pas à monnayer sa collaboration avec la Gestapo.
ERICK avait été parachuté dans notre région en Mai 1944. Brusquement, sans nécessité et sans avoir été torturé, il se mit au service de la Gestapo marseillaise à la tête de laquelle officiait le sinistre DUNKER DELAGE, Chef de la Gestapo et tortionnaire à l'occasion.
Celui-ci reçut une première lettre d'ERICK qui lui proposait ses services pour 5 millions de francs et sans autres explications. DUNKER, qui en recevait beaucoup d'autres similaires, et croyant la missive sans intérêt, la jeta au panier.
ERICK récidiva. Il offrit, dans ce second courrier, quelques noms de Résistants connus de DUNKER, mais qui restaient introuvables. DUNKER comprit à ce moment là, qu'il tenait peut-être un informateur inespéré.
Rendez-vous fut donc pris entre les deux hommes et le marché conclu. Après les dénonciations du 6 juin, ERICK déballa tout et le 10 juin 1944, donna des renseignements très précis sur les maquisards campant dans la forêt entre CHARLEVAL et LAMBESC.
Le 12 Juin 1944, à partir de 4 heures du matin, il fut possible à la Gestapo, avec la coopération de la 24ème division d'infanterie, la LUTWAFFE et B.A.D.(?), d'assiéger et d'anéantir le camp en partie.
Bilan de ce jour de combat : 96 ennemis tués et 43 prisonniers (abattus par la suite).
ERICK poursuivit sa "collaboration" avec DUNKER et notamment dans les affaires de CADENET, LOURMARIN, CUCURON, LA MOTTE, GRAMBOIS, LA TOUR d'AIGUES et PERTUIS. On assistera alors à la fusillade de dizaines de patriotes.
Néanmoins, par ses demandes incessantes d'acomptes, ERICK irritera DUNKER. Selon lui, les informations qu'il lui fournissait n'étaient que trop fragmentaires, du moins à son goût.
"Excédé par les croissantes prétentions d'ERICK qui devenait non seulement un vendu à toutes les causes, mais un ennemi personnel éventuellement dangereux, DUNKER décida de le faire supprimer."
"Début Août 1944, il le convoqua Rue Paradis et le fit transporter, vers les Baumettes, sous escorte de deux gardiens. Au détour d'un sentier, le véhicule s'arrêta. ERICK et ses gardiens descendirent. DUNKER suivait le groupe à quelques pas. Soudain la voix du SCHARFÜHRER s'éleva. Il cria en allemand aux gardiens "Exécutez-moi ce traître !". Puis, il reprit la phrase en français. Double coup de feu. ERICK tomba, foudroyé. DUNKER, calmement, s'approcha du corps et lui asséna le coup de grâce. Il repoussa du pied la forme sanglante dans les buissons du chemin. Une heure plus tard, le cadavre avait disparu. On ne le retrouvera jamais".
Justice était faite pour ERICK.
Pour DUNKER et ses tortionnaires se fut bien plus tard, mais pas pour tous !
Je pourrai vous en parler, si cet article vous a intéressés.
Sources :
A
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Archives personnelles
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B
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"La Carlingue de la Rue Paradis"
de Georges IMANN-GIGANDET
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C
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"Au Service de l'ennemi – La Gestapo française en 1940 – 1944
de Philippe AZIZ
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D
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CATILINA : conjurateur (-108 à – 62 ans avant J.C.) : comme quoi on peut être un assassin et avoir des connaissances historiques
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